Juliette Lemontey
Tel le comédien à partir du texte ou le musicien de la partition, Juliette Lemontey travaille à partir de photographies dont elle se fait l’interprète. Ce n’est pas la reproduction de l’image qui l’intéresse, mais la transcription dans la peinture de ce qui a été écrit par un autre, sans s’interdire des variations sur le thème. Cependant, alors que l’image est sans énigme[1], la peinture va mettre au jour la part de mystère que l’instantanée a pu voler à l’instant.
Un sort semblable - cette fois une réinterprétation - attend les éléments d’anciennes toiles que l’artiste découpe pour créer des compositions « hors-châssis ». Juliette Lemontey ne récupère pas, elle fait du neuf avec du vieux. Elle décèle et cueille dans le tableau, autrefois laissé, des figures, des fragments. Loin d’être des débris de toiles, tels des bris d’étoiles ils vont rayonner dans une nouvelle œuvre. Créer du neuf à partir de l’ancien n’est pas rajouter une couche qui effacerait, qui tirerait un trait sur l’existant. A la manière d’un tuilage, les figures se superposent, elles s’enlacent, s’enserrent, s’entremêlent sans se mélanger. La figure découpée occupe l’espace mural autrement que le tableau ; ainsi, les doigts d’une femme vont prendre délicatement appui sur la plinthe lorsqu’elle se penche dans sa course pour attraper un animal chimérique.
Regarder les œuvres de Juliette Lemontey fait du spectateur un scénographe. Il ne peut ne pas les associer, disposer, assembler mentalement, car, souvent, elles dialoguent et se répondent. Formant un diptyque, ou davantage, un tableau apparaîtra comme le prolongement d’un autre avec, entre les deux, l’espace infime où se produit l’évènement qui fait basculer la scène : ici, les cheveux tressés se détachent, les jupes s’envolent ; là, l’espace entre deux figures autour d’une feuille de papier se voit réduit ailleurs pour dire une confidence ou encore, s’efface dans un baiser.
L’image, c’est ce dont je suis exclu[2], ajoute le sémiologue. La peinture de Juliette Lemontey est, à l’inverse, doublement inclusive. Le spectateur prend part à l’échange avec l’auteur de la photographie car, comme l’artiste, il en ignore le contexte. Cette ignorance est propice à l’avènement du surcroît qu’apporte la peinture. Mais encore, celui qui regarde se voit introduit dans la scène à travers un foisonnement de détails, presque imperceptibles, qui créent une atmosphère enveloppante et le happent, l’air de rien. Etoffes et chevelures, plis et franges, leur tombé, un coup de vent qui berce et qui soulève, le sillage d’une voix, l’aura d’un baiser, ses effluves. Dans ces toiles silencieuses où la bouche est invisible, le souffle n’est plus ce qui porte mais ce qui prend la parole. D’autres sons parviennent jusqu’aux yeux, de manière synesthésique, à travers le bruissement d’imprimés colorés, le bruit amorti de flocons, le frêle cliquetis des plis qui s’entrechoquent dans leur envol.
L’impalpable de la vie de tous les jours, ce qui se niche dans chaque acte ou geste, le pendant du silence, tout cela transparaît dans les toiles de Juliette Lemontey. D’une apparente quiétude, le mouvement est bien présent, dans le moindre va-et vient, dans les bulles jaillissant lors d’une plongée, dans le geste d’une main qui couvre, saisit, caresse … Mais aussi dans le corps qui danse ou se déplace, loin, à travers la provenance de l’habit d’une figure hiératique. Les œuvres de Juliette Lemontey suscitent une émotion retenue, une motion ténue, qui échappe au spectateur. Un voyage intérieur, sans doute.
Clara Pagnussatt
Critique d’art, commissaire d’exposition.
[1] Roland Barthes Fragments d’un discours amoureux, Seuil, 1977, p. 157
[2] Ibid.