Le miroir de l’autre
L’artiste peintre Juliette Lemontey s’est formée à l’École Régionale des Beaux Arts de Valence où elle
s’est spécialisée en gravure sur zinc, découvrant l’aspect irrémédiable du trait et le cerne noir qui ont
donné le ton à ses premières peintures. La toile chinée, brute et tendue sur châssis n’est ici pas un
simple support à une oeuvre peinte mais bien une partie intégrante de son oeuvre puisqu’en récupérant
d’anciennes toiles comme support, la couleur vieillie devient un composant de sa palette à peindre.
L’outil peinture est fabriqué par ses soins. Les pigments qu’elle utilise lui permettent de composer des
couleurs très personnelles et singulières, comme le noir mat velouté qui habille élégamment les
chevelures de ses personnages isolés. L’espace vierge, non peint, est un espace pour l’imagination, un
lieu de rencontre probable entre les individus représentés et soi-même individu regardant et regardé.
C’est une fenêtre vers autre chose, qui n’est pas découverte immédiatement.
Autre particularité de son travail: ne jamais revenir sur ce qui a été posé sur la toile. Elle ne peut pas
effacer ce qui pourrait lui sembler de trop, sous les couches de peinture. Cet aspect intransigeant dans
l’oeuvre qu’elle développe, elle le cultive depuis ses débuts: la gravure (technique à la pointe sèche) lui
a appris la précision et l’aspect définitif d’un trait. Même si ses toiles sont en premier lieu esquissées
aux fusains, elle leur donne un caractère définitif en laissant les repentis apparents, afin de rendre
visible les erreurs, les accidents. Une façon de rendre dynamique les sujets qui ne le sont pas forcément
à première vue. Et d’inscrire ses toiles autant que sa démarche créative dans une dimension temporelle.
La dynamique est essentielle ici puisqu’à la contemplation de son travail, de chacune de ses toiles, c’est
une relation de miroir qui s’opère. Un jeu infini entre le sujet peint et nous même, qui sommes un peu
ce sujet peint inconnu au visage effacé, ou jamais dessiné. Est-ce à nous de peindre ce visage
mentalement? Doit-on appréhender le corps avec distanciation pour n’observer que l’espace dans
lequel il gravite? Juliette Lemontey nous invite t-elle à laisser s’écouler le temps hors du temps,
pendant ces instants précieux de contemplation? Autant de questions que suscitent son oeuvre
nostalgique.
Le contraste de quantité qu’elle utilise, nous invite également à réfléchir et nous questionner sur la
présence et l’absence. Les personnages peints apparaissent et disparaissent, dans de très grands formats
qui leurs donnent une irrémédiable présence. Toutefois, les corps sont éteints, déguisés sous des
vétements délicats et amples qui parcourent leurs silhouettes aussi scrupuleusement que nos yeux de
spectateurs. Que doit-on comprendre? Les corps semblent attendre quelque chose. D’être complétés?
D’exister? L’autre? La gravité de ses sujets nous renvoie à notre condition et notre dualité humaine: un
corps qui nous rattache à la terre et à la lourdeur de l’existence, une âme et un esprit qui cherchent un
envol. On pourrait se demander alors, en regardant ses toiles s’il s’agit là d’une présentation optimiste
ou pessimiste de la nature humaine. Est-ce le corps qui emprisonne l’esprit qui souhaite vagabonder
hors du temps ou est-ce l’esprit qui travaille à libérer le corps?
Toujours est-il que le travail que Juliette Lemontey nous présente fait appel à notre sensibilité, non
seulement artistique et esthétique, mais bien également et tout simplement humaine. Une oeuvre
singulière et puissante qui donne à voir ce qui n’est pas visible par l’oeil humain.
Propos recueillis par Poline Harbali
Rédactrice Boum ! Bang !
Avril 2013